Pouvoirs de la ville. Note sur la pensée urbaine et les langages politiques au début de l’âge moderne


resumo resumo

Romain Descendre



puissance sur la ville : un « gesto d’imperio »[1] comme cela a été bien vu, d’un prince souverain capable de transformer entièrement l’espace urbain pour l’assainir et le rendre fonctionnel.

Un feuillet du Codex Atlanticus contient d’autres fragments célèbres confirmant la nature à la fois politique et rationaliste de cette pensée urbaine. Il s’agit, aux dires des spécialistes, d’un brouillon de lettre à Ludovico Sforza, qui daterait de 1493, accompagnant des schémas planimétriques prévoyant l’assainissement et l’extension de la ville de Milan [Fig. 3].

 

Dammi alturità che sanza tua spesa si farà tutte le terre obediscano ai lor capi […]

Tutti i popoli obbediscano e somossi da’ lor magnati. E essi magnati si collegano e costringano  cosignori per due vie: o per sanguinità o per roba sanguinata ; sanguinità, quando i lor figlioli sono, a similitudine di statichi, sicurtà e pegno della lor dubitata fede; roba, quando tu farai a ciascun d’essi murare una casa o due dentro alla tua città, della quale lui ne tragga qualch’entrata. […]

Quel forestiero che arà la casa in Milano, spesse volte accaderà che, per istare in più magno loco, esso si farà abitatore della sua casa. E chi mura ha pur qualche ricchezza, e con questo modo la poveraglia sa disunita da simili abitatori […]  e dazi cresceranno, e la fama della magnitudine. E se pure lui in Milano abitare non vorrà, esso sarà fedele per non perdere il frutto della sua casa insieme col capitale. (Codice Atlantico, f. 184 verso)[2]

 

La ville est là bien plus qu’un simple lieu d’habitation : un instrument de pouvoir, un moyen de contrôler, d’assujettir et de répartir les populations, mais aussi un outil permettant l’enrichissement de l’État. Léonard ne craint pas de décrire ni de préconiser des méthodes de gouvernement qui étaient alors considérées comme typiquement tyranniques – première originalité, qui conduit systématiquement les commentateurs à rapprocher un peu vite ce texte du Prince de Machiavel, et qui se comprend dans le contexte politique propre à cette « tyrannie » qu’était le régime de Ludovic le More, imposé par la force et sans titre de légitimité valide. Mais il y a plus :

P. C. Marani, « Leonardo e Leon Battista Alberti », art. cité, p. 363-364.

« Donne moi autorité pour que, sans effort de ta part, tous les bourgs obéissent à leurs chefs […]

Que tous les peuples [au sens de : habitants d’un même village] obéissent et soient dirigés par les grands. Et que ces grands soient liés et attachés aux seigneurs de deux façons : soit par le sang [la famille], soit par les biens du sang [le patrimoine familial] ; le sang, lorsque leurs enfants sont pris, tels des otages, comme assurance et gage de leur foi douteuse ; les biens, lorsque tu feras en sorte que chacun d’eux construise une ou deux maisons à l’intérieur de ta ville, dont ils pourront tirer quelque revenu […]

Cet étranger qui aura une maison à Milan, souvent, pour demeurer en un lieu plus vaste, viendra habiter sa maison. Et celui qui construit a bien une certaine richesse, et de cette façon la populace sera mise à l’écart de ce genre d’habitants […] et les tributs augmenteront, ainsi que la réputation de grandeur. Et même si lui ne veut pas habiter à Milan, il restera fidèle pour ne pas perdre les fruits de sa maison en même temps que son capital. »



[1] P. C. Marani, « Leonardo e Leon Battista Alberti », art. cité, p. 363-364.

[2] « Donne moi autorité pour que, sans effort de ta part, tous les bourgs obéissent à leurs chefs […]

Que tous les peuples [au sens de : habitants d’un même village] obéissent et soient dirigés par les grands. Et que ces grands soient liés et attachés aux seigneurs de deux façons : soit par le sang [la famille], soit par les biens du sang [le patrimoine familial] ; le sang, lorsque leurs enfants sont pris, tels des otages, comme assurance et gage de leur foi douteuse ; les biens, lorsque tu feras en sorte que chacun d’eux construise une ou deux maisons à l’intérieur de ta ville, dont ils pourront tirer quelque revenu […]

Cet étranger qui aura une maison à Milan, souvent, pour demeurer en un lieu plus vaste, viendra habiter sa maison. Et celui qui construit a bien une certaine richesse, et de cette façon la populace sera mise à l’écart de ce genre d’habitants […] et les tributs augmenteront, ainsi que la réputation de grandeur. Et même si lui ne veut pas habiter à Milan, il restera fidèle pour ne pas perdre les fruits de sa maison en même temps que son capital. »