Pouvoirs de la ville. Note sur la pensée urbaine et les langages politiques au début de l’âge moderne


resumo resumo

Romain Descendre



et des fonctions, et c’est précisément cet aspect que souligne le texte accompagnant le dessin[1] :

Et sache que celui qui voudrait aller partout dans la ville par les rues hautes pourra les utiliser à sa guise, et que celui qui voudrait aller par les rues basses le pourra également ; par les rues hautes ne doivent pas aller les charrettes ni autres choses semblables ; au contraire elles ne doivent être que pour les gentilshommes ; par les rues basses doivent aller les charrettes et autres sommes pour l’usage et la commodité du peuple. (Ms B, f. 16 recto, circa 1487-90)[2]

 

Ce passage a suscité de nombreux commentaires, les interprétations divergeant quant à la signification politique et sociale qu’il revêtirait. Les plus ardents défenseurs de Léonard n’y perçoivent qu’une prise en compte des fonctions socio-professionnelles au sein de l’espace urbain et non, comme d’autres, une vision seigneuriale qui essentialiserait la hiérarchie des deux classes et matérialiserait dans l’espace d’une ville verticalisée la ségrégation de la « populace ». Il n’est pas sûr que la première interprétation neutralise la seconde, la visée pragmatique et fonctionnaliste ne faisant que renforcer la hiérarchie des classes – par ailleurs un bon nombre de ses textes attestent du mépris que Léonard vouait à la vile multitude. Là n’est donc pas l’essentiel. L’essentiel est que ce qui est proposé ici est une vision politique d’ensemble de la ville : le dessin d’une seule de ses portions illustre un système s’appliquant pourtant à tout le tissu urbain. La ville n’est pas conçue comme la juxtaposition d’édifices et de quartiers variés mais comme un système dynamique de voies de circulation. Le point de vue décisif n’est pas celui de la construction architecturale mais celui du fonctionnement général des flux dans l’espace de la ville. De fait, ce projet était une réponse qu’apportait Léonard à la grave peste qui, en 1484-1485, avait décimé la population milanaise. Il avait compris que les effets de l’épidémie avaient été rendus particulièrement dévastateurs à Milan en raison des problèmes d’hygiène propres à sa configuration. Or la spécificité de ce projet est aussi d’être un acte de rationalisation urbaine extrêmement fort ne pouvant être mis en œuvre que par un pouvoir ayant toute

Les manuscrits de Léonard de Vinci sont désormais librement consultables sur le très beau site e-Leo. Archivio digitale di storia della tecnica e della scienza, http://www.leonardodigitale.com/index.php Je cite les textes directement d’après les transcriptions des manuscrits présentées en regard des feuillets sur le site.

« E sappi che chi volessi andare per tucta la terra per le strade alte, potrà a suo acconcio usarle, e chi volessi andare per le basse, ancora il simile; per le strade alte no’ de’ andare carri né altre simili cose: anzi, sia solamente per li gentili òmini; per le basse deono andare i carri o altre some a l’uso e comodità del popolo ».



[1] Les manuscrits de Léonard de Vinci sont désormais librement consultables sur le très beau site e-Leo. Archivio digitale di storia della tecnica e della scienza, http://www.leonardodigitale.com/index.php Je cite les textes directement d’après les transcriptions des manuscrits présentées en regard des feuillets sur le site.

[2] « E sappi che chi volessi andare per tucta la terra per le strade alte, potrà a suo acconcio usarle, e chi volessi andare per le basse, ancora il simile; per le strade alte no’ de’ andare carri né altre simili cose: anzi, sia solamente per li gentili òmini; per le basse deono andare i carri o altre some a l’uso e comodità del popolo ».