Pouvoirs de la ville. Note sur la pensée urbaine et les langages politiques au début de l’âge moderne


resumo resumo

Romain Descendre



juridique, typiquement communale, entre public et privé, par la suite une nouvelle idée de la ville prend corps qui fait des différences de statut socio-professionnel, liées aux identités et aux activités privées de chacun, un critère décisif pour la configuration des espaces urbains. Cette évolution, on va le voir, concerne plus précisément deux domaines : l’aspect extérieur des édifices d’une part, la répartition des populations dans la ville d’autre part.

 

Magnificentia

À l’opposé de l’image de la ville transmise par les statuts communaux, l’expression la plus frappante d’une nouvelle pensée urbaine se manifeste, à partir du XIVe et plus encore durant tout le XVe siècle, par l’usage d’une notion dont les historiens de l’art, depuis Ernst Gombrich et ses études sur les premiers Médicis, ont souligné l’extrême importance pour la compréhension de l’architecture de la Renaissance italienne : la magnificence[1]. À partir d’extrapolations de l’Éthique à Nicomaque d’Aristote, plusieurs hommes de lettres ont appliqué à l’architecture avant tout l’idée selon laquelle le prince se devait de faire étalage de magnificence pour asseoir sa renommée et s’assurer une gloire pérenne. Pour notre propos, l’aspect le plus intéressant de ce phénomène (qui explique en partie l’extraordinaire richesse et qualité de l’architecture italienne de la Renaissance) est qu’une fonction politique des plus triviales a été associée à cette idée de magnificence architecturale, et ce dès sa formulation la plus précoce, sous la plume de Galvano Fiamma, chroniqueur des seigneurs Visconti qui régnèrent sur Milan dans la première partie du XIVe siècle. La magnificence a pour Fiamma une fonction bien précise, consistant à frapper les esprits d’étonnement et d’admiration, si bien que personne n’osera dès lors attaquer le seigneur ou envahir son territoire[2]. Outre l’idée selon laquelle la magnificence correspond au devoir propre d’un prince, qui devient dès lors responsable de la cité et se doit de

E. H. Gombrich, « The Early Medici as Patrons of Art », in Italian Renaissance Studies, ed. by E. F. Jacob, London, 1960, p. 279-311 ; A. D. Fraser Jenkins, « Cosimo de’ Medici’s Patronage of Architecture and the Theory of Magnificence », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 33, 1970, p. 162-170 ; L. Green, « Galvano Fiamma, Azzone Visconti and the Revival of the Classical Theory of Magnificence », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 53, 1990, p. 98-113.

« […] nam populus videns habitationes mirabiles, stat mente suspensus propter vehementem admirationem, sicut habetur in sexto polliticorum. Ex hoc opinatur principem esse tante potentie quod sit impossibile posse ipsum invadere », Gualvanei de la Flamma (Galvano Fiamma), Opusculum de rebus gestis ab Azone, Luchino et Johanne Vicecomitibus ab anno MCCCXXVIII usque ad annum MCCCXLII, a cura di C. Castiglioni, in Rerum Italicarum Scriptores. Raccolta degli storici italiani dal cinquecento al millecinquecento, nuova ed. (2a serie), XII, 4, Bologna, Zanichelli, 1938, chap. xv  De magnificentia edificiorum »), p. 15-16. Sur ce texte, voir L. Green, art. cité, p. 101.



[1] E. H. Gombrich, « The Early Medici as Patrons of Art », in Italian Renaissance Studies, ed. by E. F. Jacob, London, 1960, p. 279-311 ; A. D. Fraser Jenkins, « Cosimo de’ Medici’s Patronage of Architecture and the Theory of Magnificence », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 33, 1970, p. 162-170 ; L. Green, « Galvano Fiamma, Azzone Visconti and the Revival of the Classical Theory of Magnificence », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 53, 1990, p. 98-113.

[2] « […] nam populus videns habitationes mirabiles, stat mente suspensus propter vehementem admirationem, sicut habetur in sexto polliticorum. Ex hoc opinatur principem esse tante potentie quod sit impossibile posse ipsum invadere », Gualvanei de la Flamma (Galvano Fiamma), Opusculum de rebus gestis ab Azone, Luchino et Johanne Vicecomitibus ab anno MCCCXXVIII usque ad annum MCCCXLII, a cura di C. Castiglioni, in Rerum Italicarum Scriptores. Raccolta degli storici italiani dal cinquecento al millecinquecento, nuova ed. (2a serie), XII, 4, Bologna, Zanichelli, 1938, chap. xv  De magnificentia edificiorum »), p. 15-16. Sur ce texte, voir L. Green, art. cité, p. 101.