Pouvoirs de la ville. Note sur la pensée urbaine et les langages politiques au début de l’âge moderne


resumo resumo

Romain Descendre



L’espace des statuts

L’investissement de la ville par l’action conjointe du prince et de l’architecte donne naissance à une pensée urbaine dont on trouve des traces dans différents types de textes. Il serait cependant abusif de postuler que le lien entre politique et urbanisme serait en soi une invention spécifique du pouvoir princier au XVe siècle. On peut attester de ce lien dans des sources bien antérieures qui constituent une expression privilégiée de la culture politique communale : les « statuts » des cités (c’est-à-dire l’ensemble des normes, décisions, réglementations lois et coutumes qui réglaient la vie citadine et témoignaient de son autonomie). Généralement, la très grande majorité des mesures présentes dans les statuti concernait directement les interventions dans l’espace urbain, l’architecture et l’urbanisme[1]. Ces normes reflètent notamment la conscience très vive qu’avaient alors les dirigeants de ce qu’était et devait être l’espace public dans ses aspects topographiques et urbanistiques les plus concrets : les réglementations de l’aménagement et de l’usage des rues étaient nombreuses, celles concernant la place l’étaient plus encore – comme de bien entendu puisque celle-ci était par excellence le lieu de la vie publique, politique et commerciale de la cité. Les statuti opéraient ainsi une sur-réglementation de l’espace public qui se fondait aussi, à l’inverse, sur une exclusion explicite et rigoureuse de toute forme d’intervention dans l’espace privé.

Celle-ci s’exprimait non seulement à travers un refus compréhensible d’intervenir dans le domaine de l’architecture intérieure, mais aussi par un silence frappant sur l’un des sujets qui allaient plus tard devenir centraux dans les traités d’architecture de la Renaissance : la correspondance entre, d’une part, division socio-économique des habitants, et, d’autre part, répartition spatiale et configuration architecturale de leurs habitations – une correspondance qui trouvait son origine classique chez Vitruve, pour qui les édifices devaient entretenir une relation fonctionnelle avec les qualités et activités de leurs habitants[2]. Abstraction faite de la nature bien distincte de ces deux types de textes, cette différence entre les statuts médiévaux et les traités de la Renaissance nous renseigne sur l’apport spécifique du XVe siècle princier à la pensée de la ville. Si à l’époque des seigneuries du XIIIe et XIVe siècle les statuts des cités continuaient encore à respecter strictement la distinction

M. Folin, « Il governo degli spazi urbani negli statuti cittadini di area estense », in Signori, regimi signorili e statuti nel tardo medioevo, a cura di R. Dondarini, G.M. Varanini, M. Venticelli, Bologna, Pàtron, 2003, p. 337-366. L’étude porte plus spécifiquement sur trois villes gouvernées par les Este : Ferrare, Modène et Reggio.

Vitruve, VI, v, 2-3. Voir M. Folin, article cité, p. 23.



[1] M. Folin, « Il governo degli spazi urbani negli statuti cittadini di area estense », in Signori, regimi signorili e statuti nel tardo medioevo, a cura di R. Dondarini, G.M. Varanini, M. Venticelli, Bologna, Pàtron, 2003, p. 337-366. L’étude porte plus spécifiquement sur trois villes gouvernées par les Este : Ferrare, Modène et Reggio.

[2] Vitruve, VI, v, 2-3. Voir M. Folin, article cité, p. 23.