Petite histoire de la notion d’ambiance


resumo resumo

Jean-Paul Thibaud



Le deuxième niveau est le niveau interpersonnel. Daudet parle alors de « l’interambiance ». Bien qu’il développe moins ce niveau que le précédent, il se saisit du désir amoureux pour le mettre à jour. C’est ainsi que l’amour procèderait « de la rencontre, du choc, puis de la fusion parfaite de deux ambiances de même nature, aboutissant à ce frisson exquis, inoubliable, secret, muet et qui a l’intensité du cri le plus aigu ». Le philtre d’amour de Tristan et Iseult ne serait pas autre chose que cette « délicieuse aimantation » issue de la rencontre de deux ambiances. A cet égard, si chaque individu possède une aura, c’est parce que nos sens se prolongent au-delà de nous-mêmes, c’est parce qu’ils « se prolongent en ondes mystérieuses, chargées de notre ambiance qu’ils traversent ». Mais encore, l’ambiance intervient au niveau interpersonnel car « elle est une force incalculable » qui aurait le pouvoir de propager, d’augmenter, de diminuer et d’ordonner toute sensation. Pour Daudet, le désir, qu’il soit d’ailleurs amoureux, de connaissance ou de création, ne procède pas autrement que de « la conjonction de nos ambiances de vue, d’ouïe, de toucher et contact, d’odorat et de goût ».

Le troisième niveau est le niveau collectif. C’est ici que va être mis en avant le plus fortement le caractère contagieux et diffus de l’ambiance. Daudet se saisit alors de l’odorat pour développer cet argument, au point d’écrire un chapitre entier sur « Le domaine de l’olfactif ». L’odorat serait à la fois celui de nos sens qui est le plus près de l’ambiance et celui qui aurait été le moins étudié : « Enfin les conceptions philosophiques, qui mêlent le sensible à l’intellectuel, utilisent les notions visuelles, auditives, tactiles, de station, de motilité, pour leurs fins de controverses et de persuasion, pour leurs images. Elles ne recourent jamais au domaine de l’olfactif et cela en raison de son imprécision, de son vague, de son côté diffusible à l’infini, qui coïncide avec son extraordinaire intensité. Comme l’ambiance, dont il est un poste, l’odorat ne délimite jamais. Il y a certainement un beau et même un sublime de ce sens à peine saisissable, mais il flotte autour de nous ou court devant nous, en déjouant toutes nos ruses pour le saisir ». Contagieuse par excellence, l’ambiance se propagerait et se transmettrait facilement, au point de marquer et d’envelopper l’esprit d’une époque sans que rien ne puisse lui échapper : « L’ambiance groupe, pour une époque donnée, toutes ces puissances d’enquête et les oriente dans un même sens. C’est ce que le bon sens du peuple exprime par l’image ‘des idées qui sont dans l’air’. » L’efflorescence artistique exceptionnelle de la Renaissance ou l’abondance de génies dramatiques à l’époque élisabéthaine ne s’expliquerait pas autrement que par la force de cette ambiance