Petite histoire de la notion d’ambiance


resumo resumo

Jean-Paul Thibaud



« la création des conditions de son apparence »[54]. De ce point de vue, la manière dont le monde apparaît engage aussi bien le travail du concepteur que l’activité de l’habitant.

J’ai mis l’accent jusqu’à présent sur les arguments que partagent Jean-François Augoyard et Gernot Böhme dans leur esthétique des ambiances. S’il existe une grande affinité de points de vue entre ces deux auteurs, du moins peut-on relever quelques traits spécifiques à chacun. Outre le fait que Augoyard inscrit son esthétique dans le cadre plus large d’une théorie des ambiances et d’une épistémologie de l’interdisciplinarité, plusieurs autres particularités méritent d’être soulevées.

Remarquons tout d’abord que la dimension objective et matérielle de l’ambiance n’est pas abordée exactement dans les mêmes termes. Chez Augoyard, elle se rapporte à la fois au signal physique et à l’espace construit alors que chez Böhme elle relève plutôt du monde des choses. Partant de l’idée que tout signal physique incorpore nécessairement les propriétés du cadre bâti dans lequel il se produit, Augoyard propose de développer une physique contextuelle : « Le son situé traverse un espace de propagation qui lui donne une certaine qualité hic et nunc ; par exemple : temps de réverbération et timbrage pour le son, réflexion particulière, modification de température, de couleur, organisation des ombres pour la lumière, turbulences particulières des flux de l’air autour de certaines configurations architecturales, volatilité variable des odeurs en fonction de la vitesse du vent. Le signal physiquement isolable a posteriori n’existe qu’à travers cette incorporation spatio-temporelle entièrement dépendante des qualités morphologiques et matérielles du lieu. »[55] Une telle perspective renoue avec la « maîtrise des ambiances » telle qu’enseignée dans les écoles d’architecture en réintroduisant la part du contexte spatial dans les procédures métrologiques. L’enjeu ne consiste pas moins à repenser la complémentarité entre le quantitatif et le qualitatif. Mais encore, si le signal physique n’a d’existence que rapporté au cadre bâti, il n’a véritablement de sens qu’à partir du moment où il est perçu et filtré par les codes, normes, représentations et interactions sociales en vigueur dans le lieu. Bref, comme le constate Augoyard, cette chaîne de conformation du signal aux multiples traits contextuels en présence (spatio-temporel, perceptif, culturel, social) « aboutit à la définition d’un objet central qui n’est plus le signal mais le

Augoyard, J.F. (1995) L’environnement sensible et les ambiances architecturales. L’espace Géographique. n° 4, pp. 302-318.



[54] « It is never purely a question of designing an object but always, at the same time, of creating the conditions for its appearence. » Cf. Böhme, G. On Synaesthesiae. Op. cit.

[55] Augoyard, J.F. (1995) L’environnement sensible et les ambiances architecturales. L’espace Géographique. n° 4, pp. 302-318.