Petite histoire de la notion d’ambiance


resumo resumo

Jean-Paul Thibaud



sentir ; il se constitue, au contraire, dans le sentir »[36]. Encore faut-il ne pas se méprendre sur ce que Straus entend par sentir. S’il propose ce terme, c’est d’abord pour le distinguer de la notion de sensation conçue comme une excitation localisée et ponctuelle résultant d’un processus purement physiologique. Bien au contraire, le sentir correspond à un mode de communication global et immédiat avec le monde, c’est par lui que le vivant forme une totalité avec le monde. De ce point de vue, il concerne aussi bien le monde animal que le monde humain. De plus, Straus s’attache à distinguer le sentir du percevoir. Alors que le percevoir est déjà un connaître et engage un « moment gnosique », le sentir désigne avant tout un ressentir qui engage un « moment pathique » dépourvu de toute objectivation ou mise à distance thématique[37]. Avec le sentir, il en va d’un rapport empathique et d’un attachement charnel avec le monde. D’ailleurs, pour Straus, le sentir est indissociable d’un « se mouvoir » dans la mesure où le monde sensible ne se réduit pas à des états de choses ou à des qualités indépendantes du sujet mais sollicite au contraire une activité motrice et mobilise des dispositions affectives. Bref, c’est en se dotant d’une physionomie particulière que les choses m’apparaissent et exerce sur moi leur capacité d’affection : « Le sentir est orienté vers les caractères physionomiques de ce qui est effrayant ou effarouchant. (…) Sympathique est le concept large qui intègre l’unir et le séparer, le fuir et le suivre, l’effrayer et l’attirer, donc le sympathique et l’antipathique. »[38] C’est en mettant l’accent sur le visage dont se dotent les choses et sur le mouvement d’approche qu’elles suscitent que Straus parvient à faire du monde sensible le vecteur principal de notre présence au monde. L’espace du paysage et les mouvements de la danse constituent à cet égard les deux cas paradigmatiques à partir desquels est présenté le moment pathique propre au sentir. Pour finir, si Straus a sans doute surestimé la distinction entre le pathique et le gnosique, il figure parmi ceux qui se sont rapprochés au plus près de la phénoménalité du monde ambiant[39].

 

Pour un développement de la distinction entre « moment gnosique » et « moment pathique », se reporter en particulier à l’article d’Erwin Straus Les formes du spatial (op.cit.).

Comme l’indique Maldiney (1973, op. cit.), la pensée de Straus « commence là où finit l’analyse intentionnelle de Husserl, à cette hylétique qu’il a nommée sans pouvoir l’édifier ». Pour une présentation synthétique de cette question, se reporter à Gennart, M. (1986) Une phénoménologie des données hylétiques est-elle possible ? Etudes Phénoménologiques. n° 4, pp. 19-46.



[36] Barbaras, R. (1999) Affectivité et mouvement : le sens du Sentir chez E. Straus. Alter. Revue de Phénoménologie. n°7, pp. 15-29.

[37] Pour un développement de la distinction entre « moment gnosique » et « moment pathique », se reporter en particulier à l’article d’Erwin Straus Les formes du spatial (op.cit.).

[38] Straus, E. (1989) Du sens des sens. Grenoble : Jérôme Million.

[39] Comme l’indique Maldiney (1973, op. cit.), la pensée de Straus « commence là où finit l’analyse intentionnelle de Husserl, à cette hylétique qu’il a nommée sans pouvoir l’édifier ». Pour une présentation synthétique de cette question, se reporter à Gennart, M. (1986) Une phénoménologie des données hylétiques est-elle possible ? Etudes Phénoménologiques. n° 4, pp. 19-46.