Pouvoirs de la ville. Note sur la pensée urbaine et les langages politiques au début de l’âge moderne


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Romain Descendre



préhistoire, si l’on entend réserver le mot d’« urbanisme » à l’époque contemporaine et à sa constitution en discipline académique) ne naît pas indépendamment de la pensée politique, mais il naît comme l’une des formes que prend la pensée politique de la première modernité : non pas parce qu’il serait produit par des hommes de lettres réfléchissant spécifiquement sur des questions politiques, mais dans la mesure où cette pensée confère à l’espace urbain des significations éminemment politiques et où elle conçoit cet espace, pour ainsi dire, comme langage politique[1].

 

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La ville du Prince

Parce que la ville est perçue comme création du prince, la pensée de l’espace urbain, dès son origine, apparaît comme une pensée éminemment politique, y compris dans ses dimensions esthétiques. L’un des textes qui exalte le plus l’étroitesse du lien entre le prince et l’architecte est le Trattato d’architettura du florentin Filarete (Antonio Averlino dit le Filarete), écrit pour le seigneur de Milan, Francesco Sforza, dans les années 1450. La ville y est explicitement conçue comme un engendrement, comme un enfantement, consécutif à l’union entre le prince et l’architecte :

 

il appartient d’abord à l’architecte d’engendrer le bâtiment de conserve avec celui qui veut bâtir ; pour ma part, j’ai déjà engendré cette ville avec mon seigneur, de conserve avec lui je l’ai examinée maintes et maintes fois, elle a été pensée par moi et décidée avec lui. Puis j’en ai accouché, c’est-à-dire que je l’ai dessinée en plan en suivant ses fondations.[2]

On ne saurait mieux dire à quel point l’architecte est indispensable pour le prince. Mais le passage exprime tout autant le fait que la ville est avant tout la réalisation d’une volonté princière, une production du souverain. Or tout le traité va détailler ce que doit être cette cité imaginaire, appelée Sforzinda justement parce qu’elle

Sur l’ensemble de ces questions, voir notamment le volume Linguaggi politici nell’Italia del Rinascimento, A. Gamberini et G. Petralia (éd.), Rome, Viella, 2007, et plus particulièrement l’article de Patrick Boucheron, « L’architettura come linguaggio politico : cenni sul caso lombardo nel secolo XV », p. 3-53.

Antonio Averlino detto il Filatete, Trattato di architettura, a cura di A. M. Finoli e L. Grassi, Milano, Il Polifilo, 1972 : « all’architetto s’appartiene prima generare l’edificio insieme con quello che vuole edificare, io ho già generata questa città col mio Signore, e insieme collui l’ho esaminata più e più volte, e da me pensata e collui diterminata. E poi io l’ho partorita, cioè glie n’ho fatto uno disegno in liniamento secondo che vanno i fondamenti. ».



[1] Sur l’ensemble de ces questions, voir notamment le volume Linguaggi politici nell’Italia del Rinascimento, A. Gamberini et G. Petralia (éd.), Rome, Viella, 2007, et plus particulièrement l’article de Patrick Boucheron, « L’architettura come linguaggio politico : cenni sul caso lombardo nel secolo XV », p. 3-53.

[2] Antonio Averlino detto il Filatete, Trattato di architettura, a cura di A. M. Finoli e L. Grassi, Milano, Il Polifilo, 1972 : « all’architetto s’appartiene prima generare l’edificio insieme con quello che vuole edificare, io ho già generata questa città col mio Signore, e insieme collui l’ho esaminata più e più volte, e da me pensata e collui diterminata. E poi io l’ho partorita, cioè glie n’ho fatto uno disegno in liniamento secondo che vanno i fondamenti. ».