Pour une science humaine du discours. Des affects et des vertus dans la science réflexive


resumo resumo

Marie Anne Paveau



rapports aux langues de locuteurs sociaux qui me sont “étrangers” : comment pourrait-on comprendre des expériences que l’on ne partage pas ? Comment comprendre sans être le même ? » (2009, p. 36). Sentiment d’illégitimité construit également par des remarques de ses collègues :

[…] parole d’un chercheur rencontré en 1996 devant un ascenseur lors d’un colloque sur les « français en francophonie » organisé au Cameroun : mais vous, d’où venez-vous ? À vous entendre, on ne peut pas vous situer, vous n’avez aucun accent… Parole ambivalente, comportant ce que j’identifiais comme une pointe de reproche, de suspicion… Question torturante pour la doctorante que j’étais, aux prises avec des questions de légitimité, de traces, d’appartenances ! (2009, p. 38).

 

À partir de « l’histoire linguistique de [ses] familles », de « récits familiaux » et de « souvenirs scolaires » (2009 : 37), elle propose une « relecture sociolinguistique d’éléments biographiques » (2009 : 38). Cette idée de relecture disciplinaire permet peut-être de garantir une pratique réflexive qui ne soit pas simplement une description des subjectivités.

Dans le même recueil, Laurence Pourchez, anthropologue, propose un article intitulé « Traditions disciplinaires nationales et réflexivité. Pourquoi l’approche réflexive est-elle si peu valorisée en France ? » (Pourchez 2009). Elle propose une réponse plutôt musclée à cette question, expliquant que « les anthropologues français [sont] englués dans un passé disciplinaire davantage marqué par la colonisation et les dérives anthropologiques que cette période a induites » (2009 : 68). Elle appuie son argumentation sur des étapes de son histoire de chercheuse : le début de sa thèse en 1996 à l’EHESS sur la société créole, moment où un chercheur lui conseille une relation sentimentale ou conjugale avec un autochtone pour lui « soutirer contacts et renseignements » (p. 69) ; un « colloque prestigieux », où « les deux tiers des communications ont concerné les sociétés d’Afrique de l’Ouest » et où elle a « noté la présence de deux Africains dans la salle » (p. 76), et où elle se livre à une édifiante petite analyse du discours des intervenants :

 

Avec ma voisine, d’origine malgache (comptabilisée au nombre de deux Africains présents dans la salle), nous nous sommes livrées à un petit comptage et à une analyse du discours des intervenants. En une journée, en l’espace de quelques heures (7h en fait, du début des communications, à 9h, à leur clôture à 18h), 24 adjectifs possessifs ont été prononcés, de manière le plus souvent inconsciente par les orateurs : « Alors chez mes malgaches… », plus consciente peut-être, par les présidents de séance : « Chère madame, et chez vos Serrer, comment cela se passe-t-il ? » (2009, p. 77 ; mise en gras de l’auteure).