Petite histoire de la notion d’ambiance


resumo resumo

Jean-Paul Thibaud



Partant d’une approche plus délibérément heideggerienne, Binswanger décrit lui aussi des cas cliniques qui conduisent à des conclusions sensiblement identiques. Ainsi, Le cas Susanne Urban[24] fait état d’une patiente qui, suite à un événement traumatique, perd sa capacité de mise à distance et d’articulation du monde dans lequel elle se trouve. En contact immédiat avec l’ambiance, sans possibilité d’éloignement ou de retrait, cette patiente est plongée dans une atmosphère homogène qu’elle ressent comme effrayante. Par cette « atmosphérisation »[25] du monde, elle se sent dépossédée d’elle-même et sombre alors dans un délire où tout devient menaçant et inquiétant. Dans le cas de la psychose maniaco-dépressive, il en va tout autrement[26]. Quels que soient les événements auxquels il est confronté, rien ne semble atteindre ou toucher le malade. Celui-ci fait montre de sautes d’humeur ou d’idées, passe du coq à l’âne comme si rien n’avait vraiment d’importance. Le monde perd alors de son relief et de sa profondeur, le contact avec l’ambiance semble alors rompu. Ainsi, pour Minkowski comme pour Binswanger, nos manières d’être au monde semblent indissociablement liées aux types de rapport que nous entretenons avec l’ambiance.

Pour comprendre la façon dont la psychopathologie a thématisé la notion d’ambiance, il nous faut sans doute revenir aux distinctions opérées entre diverses formes d’espace. Que l’on se réfère à la distinction entre l’« espace orienté » et l’« espace thymique » proposée par Binswanger[27], à l’« espace  clair » et l’« espace noir » chez Minkowski[28] ou bien encore à l’« espace géographique » et l’« espace du paysage » pour Straus[29], c’est à partir de la question spatiale qu’un éclairage peut être donné de la notion d’ambiance. Si ces distinctions ne sont pas complètement équivalentes les unes aux autres, elles possèdent néanmoins d’étroites affinités et s’attachent toutes à mettre en évidence ce que l’on pourrait appeler l’« espace ambiant ». D’un côté donc, l’espace pragmatique et finalisé, celui de nos actions et perceptions, celui des objets et des pratiques qui s’y rapportent. Les espaces « orienté »,

Sur la notion d’« atmosphèrique » d’un point de vue psychopathologique et sur l’importance du sens oral dans l’atmosphérisation du monde, se reporter à l’ouvrage fondamental de Tellenbach, H. (1983) Goût et Atmosphère. Paris, PUF.

Binswanger, L. (2000) Sur la fuite des idées. Grenoble : Jérôme Million.

Minkowski, E. (1995) Vers une psychopathologie de l’espace vécu. In Le temps vécu. Paris : Quadrige / P.U.F., pp. 366-398.



[24] Binswanger, L. (2002) Le cas Suzan Urban. Etude sur la schizophrénie. Paris : Editions Gérad Monfort.

[25] Sur la notion d’« atmosphèrique » d’un point de vue psychopathologique et sur l’importance du sens oral dans l’atmosphérisation du monde, se reporter à l’ouvrage fondamental de Tellenbach, H. (1983) Goût et Atmosphère. Paris, PUF.

[26] Binswanger, L. (2000) Sur la fuite des idées. Grenoble : Jérôme Million.

[27] Binswanger, L. (1998) Le problème de l’espace en psychopathologie. Préface et traduction de Caroline Gros-Azorin, Toulouse : Presses Universitaires du Mirail.

[28] Minkowski, E. (1995) Vers une psychopathologie de l’espace vécu. In Le temps vécu. Paris : Quadrige / P.U.F., pp. 366-398.

[29] Straus, E. (1992) Les formes du spatial. Leur signification pour la motricité et la perception. In Figures de la Subjectivité. Etudes réunies par Jean-François Courtine, Paris : Editions du CNRS, pp. 15-49.