Petite histoire de la notion d’ambiance


resumo resumo

Jean-Paul Thibaud



Psychopathologie des ambiances

Dans la première moitié du XXème siècle, un certain nombre de psychiatres de langue allemande reprennent à leur compte les apports de la phénoménologie et jettent les bases de la psychopathologie existentielle. Pour aussi différents qu’ils soient, les travaux de Ludwig Binswanger, Erwin Straus ou Eugene Minkowski[18] opèrent une critique radicale de la psychologie behavioriste et de l’idéologie objectiviste de l’époque en proposant une nouvelle manière de penser l’être au monde. En s’appuyant souvent sur des cas cliniques et sur leur pratique de thérapeute, ces auteurs entretiennent un dialogue fructueux et sans concession avec la philosophie husserlienne, l’analytique existentiale heideggerienne et la psychanalyse freudienne. S’il l’objectif premier est bien de progresser dans la compréhension des désordres mentaux, c’est au prix d’une réflexion fondamentale sur le monde de la vie. Dans le plus connu de ses essais, Binswanger[19] reprend à son compte et met en exergue la proposition de Kierkegaard : « Il convient plutôt de s’attacher à ce que signifie : être un homme ».

S’il s’agit bien ici de psychopathologie, encore faut-il reconnaître à cette démarche sa véritable portée anthropologique[20]. Ne se satisfaisant pas de la distinction entre le psychique et le somatique et remettant en cause les explications strictement fonctionnelles ou neurophysiologiques, la psychopathologie existentielle se propose de questionner les formes et les structures de l’existence humaine. Ainsi, l’étude de cas cliniques n’est pas close sur elle-même, elle doit plutôt s’ouvrir sur les différentes manières d’être au monde, qu’elles soient « normales » ou « pathologiques ». Autrement dit, les pathologies mentales – et en particulier les psychoses – constitueraient des analyseurs particulièrement pertinents pour rendre compte des modes d’exister.

Deux arguments centraux viennent asseoir cette idée. D’une part, la description attentive et minutieuse de cas cliniques précis ne doit pas se limiter à rendre compte d’une expérience singulière mais dévoiler aussi les traits invariants sur lesquels elle repose. Comme le remarque Minkowski : « Aussi importe-t-il de réserver à la phénoménologie du fait psychopathologique une autonomie entière par rapport et à la

Binswanger, L. (1954) Le rêve et l’existence. traduction de Jacqueline Verdeaux, introduction de Michel Foucault, Bruxelles : Desclée de Brouwer.



[18] D’autres penseurs de toute première importance – en liens étroits avec l’analyse existentielle – méritent au moins d’être mentionnés, tels V. Von Weizsacker, F-J-J Buytendijk ou H. Maldiney pour ne citer que quelques uns.

[19] Binswanger, L. (1954) Le rêve et l’existence. traduction de Jacqueline Verdeaux, introduction de Michel Foucault, Bruxelles : Desclée de Brouwer.

[20] C’est précisément à cette dimension anthropologique que Michel Foucault s’intéresse dans son introduction à Le rêve et l’existence de Binswanger.