Pouvoirs de la ville. Note sur la pensée urbaine et les langages politiques au début de l’âge moderne


resumo resumo

Romain Descendre



ces préconisations dessinent une politique de la ville qui fait du phénomène urbain dans son ensemble la matière même de l’action souveraine et l’objet d’une technologie générale de contrôle – seconde originalité, qui appartient en propre à Léonard et ne trouve aucune correspondance, cette fois, dans l’œuvre machiavélienne.

Ici sont anticipées d’un siècle des considérations que l’on ne trouvera véritablement développées que chez Botero, à l’époque des premières théories de la raison d’État. L’espace urbain sera alors pensé dans la diversité de ses effets politiques directs, comme l’un des outils permettant d’« avilir » les sujets, de « débiliter » les forces des insoumis et d’« empêcher leur union », valorisant ainsi les modèles de villes morcelées, comme Le Caire ou Venise, ou encore les pays qui, telle l’Espagne, n’eurent qu’un réseau urbain très clairsemé[1].

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Dès ses premières manifestations dans l’Italie de la première modernité la pensée urbaine a toujours eu une forte dimension politique. Mais celle-ci n’a pas toujours été de même nature. Les textes ayant directement trait à la construction des villes permettent d’observer une évolution qui est non seulement parallèle aux tendances principales de l’histoire urbaine, mais qui s’explique peut-être plus et mieux encore à partir de l’émergence de l’État, comme structure territoriale certes toujours dirigée depuis la ville, mais dans les formes d’une domination unilatérale et centralisée et non plus d’une organisation communale ni d’une structuration seigneuriale. Pour que cette domination soit assurée, il ne lui suffit plus d’être affirmée, exposée ou imposée par la magnificence d’une architecture exprimant le principe d’une souveraineté ; elle doit encore être réalisée par des effets de contrôle et des dispositifs de sécurité précisément décrits et inscrits dans le tissu urbain. Alors seulement naît quelque chose qu’il est difficile de ne pas considérer comme une première forme d’ « urbanisme » : non plus seulement une science de l’architecture mais un savoir de la ville, qui fait d’elle un système dynamique où ce qui devient central est l’articulation vivante de ses parties et le réseau de ses voies de circulations bien plus que la façade de ses palais et la scénographie de ses places.

 

 

G. Botero, De la raison d’État (1589-1598), éd., trad. et notes de P. Benedittini et R. Descendre, introduction de R. Descendre, Paris, Gallimard, 2014, voir le livre V, p. 203-234 et en particulier la p. 225.



[1] G. Botero, De la raison d’État (1589-1598), éd., trad. et notes de P. Benedittini et R. Descendre, introduction de R. Descendre, Paris, Gallimard, 2014, voir le livre V, p. 203-234 et en particulier la p. 225.