Petite histoire de la notion d’ambiance


resumo resumo

Jean-Paul Thibaud



L’ambiance comme modèle spéculatif

Compte tenu des connaissances en la matière, je distingue deux grandes postures vis-à-vis de la notion d’ambiance. La première est de l’ordre du « modèle spéculatif ». Elle consiste à faire de l’idée d’ambiance la clé d’une pensée globale et engagée. Le problème n’est pas tant d’étudier rigoureusement cette notion que de l’inscrire dans une vision du monde originale. Certains textes de Léon Daudet et certaines activités du mouvement situationniste relèvent de cette première posture. Un bref exposé de ces deux modèles est présenté ici pour commencer. La seconde est de l’ordre de l’« approche disciplinaire ». Elle consiste à construire cette notion de manière à en faire un objet de savoir. Cette posture met en jeu les outils conceptuels et méthodologiques du domaine scientifique concerné (sémantique, psychopathologie, esthétique). Ces trois points de vue sont exposés dans un second temps.

 

L’ambiance émanation de Léon Daudet

En 1928, Léon Daudet rédige en exil un essai intitulé Mélancholia[1], en référence à une œuvre du même nom d’Albert Dürer datant de 1514. Cet essai constitue sans doute la première tentative de réflexion approfondie sur l’idée d’ambiance. Fils d’Alphonse Daudet, médecin de formation, monarchiste fervent engagé au sein de l’Action Française, féroce polémiste politique, romancier, membre de l’Académie Goncourt, Léon Daudet propose dans cet ouvrage de curieux développements concernant l’ambiance.

Sa proximité avec les frères Goncourt, eux-mêmes très intéressés par l’idée récente d’ambiance, explique sans doute l’attention qu’il porte à ce mot. Si Daudet avait déjà procédé à des descriptions d’ambiances de Paris, c’est dans Mélancholia qu’on trouve sa conception théorique de l’ambiance. Celle-ci repose sur deux entrées de base : une entrée physiologique dominante qui s’appuie largement sur ses connaissances de médecin et une entrée littéraire qui questionne l’œuvre de certains grands écrivains (un long chapitre est consacré en particulier à « Montaigne et l’ambiance du savoir »).

De nombreuses définitions de l’ambiance sont proposées dans Mélancholia. Pour la clarté de l’exposé, on peut néanmoins identifier trois niveaux principaux en œuvre dans cette conception de l’ambiance : individuel, interpersonnel et collectif. Le niveau individuel met l’accent sur l’échange incessant entre l’organisme humain et son



[1] Daudet, L. (1928) Mélancholia. Paris : Grasset.