Pour une science humaine du discours. Des affects et des vertus dans la science réflexive


resumo resumo

Marie Anne Paveau



 

  1. une position disjonctive exclusive : les normes éthiques et les normes cognitives n’ont aucun rapport entre elles ;
  1. une position réductionniste : les normes cognitives sont des normes éthiques ;
  1. une position conjonctive : il y a des normes éthiques et des normes cognitives, et elles se recoupent partiellement ou il y a une analogie entre elles. Nous défendrons ici une version de la position conjonctive (ENGEL, MULLIGAN, 200, p. 172).

 

Je partage entièrement cette position, qui s’inscrit dans une perspective postdualiste consistant à révoquer les dualismes et oppositions sur lesquels reposent souvent les critères de scientificité, particulièrement en linguistique : esprit vs corps ou monde (the mind-body problem pour la philosophie anglophone), linguistique vs extralinguistique, sens vs valeur, etc. C’est cette perspective qui fonde ma réflexion dans Langage et morale, où je propose d’intégrer le paramètre éthique à la théorie linguistique, au nom justement de la fluidité entre les catégories d’épistémique et d’éthique (Paveau 2013). Ce « changement de braquet », selon l’expression de Claudine Tiercelin (2005), est assez radical puisqu’il fait dépendre la connaissance des caractéristiques de l’agent, à la manière aristotélicienne, et non plus de la seule justification des croyances et des règles d’accession au savoir, comme le veulent les traditions platonicienne et cartésienne. Entrent alors en compte dans la formation des croyances les dispositions de l’agent, ses traits de caractère, ses aptitudes et ses vertus. Les domaines épistémique et éthique s’en trouvent étroitement articulés : le savoir n’est plus déconnecté des attitudes, des valeurs et des comportements mais leur est au contraire étroitement associé. Le savoir est de fait imprégné de valeur, comme le montre clairement John Greco :

 

Quand nous disons que quelqu’un sait quelque chose, nous posons un jugement de valeur. Nous impliquons par exemple que son jugement est préférable à la simple opinion de quelqu’un d’autre. Mais alors, les propriétés du savoir et les choses du même genre ont une dimension normative. L’épistémologie est une discipline normative (GRECO 2010, p. 86 ; ma traduction).

 

Autrement dit, de la même manière que les théories de la vertu essaient de comprendre les propriétés normatives des actions en termes d’agents moraux, l’épistémologie des vertus essaie de comprendre les propriétés normatives des croyances en termes de propriétés normatives des agents cognitifs. Linda Zagzebski