Pour une science humaine du discours. Des affects et des vertus dans la science réflexive


resumo resumo

Marie Anne Paveau



femmes (PAVEAU 2013, 2014c) et le discours pornographique (PAVEAU, 2014a), je ne vois pas comment je pourrais ignorer les émotions, négatives comme positives, que provoquent mes corpus : qu’il s’agisse des photos du Project Unbreakable[2] sur lesquelles des femmes violées rapportent les paroles de leur violeur, provoquant chez moi une souffrance empathique (PAVEAU, 2013), ou des nombreux textes et images pornographiques que j’ai consultés, mobilisant ce que j’appelle « le corps sexuel de la chercheuse » (PAVEAU, 2014b), les corpus produisent évidemment des effets. Et il m’a toujours semblé étrange que les linguistes analysent doctement les notions de performatif et d’illocutoire en prétendant en rester détaché.e.s.

Cette humanité profonde de la science m’a bienheureusement frappée à la lecture d’un texte déjà ancien de Florence Piron, « Responsabilité pour autrui et savoir scientifique », publié dans la revue Éthique publique (PIRON, 2000). De formation philosophique et anthropologique, Florence Piron est professeure au département de communication de l’université Laval au Québec. Jeune chercheuse travaillant sur la pensée critique des adolescent.e.s, elle commence son terrain de thèse par des entretiens avec des jeunes dont les récits violents l’atteignent beaucoup. « Je sombre, je suis épuisée, écrit-elle. Je suis en train de commencer mon “terrain” de doctorat en anthropologie » (p. 1). Vient alors une période de doute : suis-je compétente, se demande-t-elle ? Comment faire, comment travailler à partir de ces récits, comment construire un discours de recherche cohérent ? Et surtout, comment éviter de ne fournir de données qu’aux concepteur.trice.s des programmes de « gestion des jeunes », et comment rendre, d’une certaine manière, à ces jeunes, ce qu’ils ont donné ? Après quelques lectures, elle fait l’autodiagnostic d’un double bind :

 

Autrement dit, je me trouvais dans la situation suivante : après avoir vécu un terrain bouleversant auquel mes savantes lectures sur l’adolescence et les méthodes de recherche qualitative ne m’avaient guère préparée, je voulais produire un savoir sur ces jeunes qui réponde de manière satisfaisante aussi bien aux exigences de la communauté scientifique qu’à ce que j’ai appelé par la suite mon « exigence éthique ». Ce que j’ai découvert progressivement, c’est que ces deux exigences constituaient en fait un véritable « double-bind »

Project Unbreakable (en français « Projet : Indestructible ») est un projet mis en place en 2011 par Grace Brown, une jeune photographe étatsunienne qui photographie des victimes de viols tenant une pancarte où sont inscrites les paroles de leur violeur au moment de l’événement. Les photos sont publiées sur un tumblr (http://projectunbreakable.tumblr.com/) qu’accompagnent une page Facebook et un compte Twitter. Au départ basé aux Etats-Unis, le projet circule désormais dans le monde, en Europe en particulier, et a pris une dimension éducative et militante, Grace Brown et son équipe le présentant dans différents établissements scolaires et universitaires.



[2] Project Unbreakable (en français « Projet : Indestructible ») est un projet mis en place en 2011 par Grace Brown, une jeune photographe étatsunienne qui photographie des victimes de viols tenant une pancarte où sont inscrites les paroles de leur violeur au moment de l’événement. Les photos sont publiées sur un tumblr (http://projectunbreakable.tumblr.com/) qu’accompagnent une page Facebook et un compte Twitter. Au départ basé aux Etats-Unis, le projet circule désormais dans le monde, en Europe en particulier, et a pris une dimension éducative et militante, Grace Brown et son équipe le présentant dans différents établissements scolaires et universitaires.