Pour une science humaine du discours. Des affects et des vertus dans la science réflexive


resumo resumo

Marie Anne Paveau



observables (ou objets, informateur.trice.s, données, le vocabulaire changeant selon les disciplines).

Dans son dernier ouvrage, Moi, je laisse faire, je regarde les étincelles, Éric Didier, psychanalyste qui s’occupe principalement d’enfants, rapporte les premiers mots d’un enfant resté muet pendant ses quatre premières années : « Pourquoi je vois pas mes yeux ? » :

Je crois que la très grande majorité des humains se bornent à prendre ce qui arrive comme une donnée incontestable, non questionnable, une donnée qu’il faut subir même si on doit s’en plaindre. Un bel exemple d’un questionnement radical d’un enfant, c’est celui d’un ami dont les parents m’ont raconté qu’il n’a pas parlé, qu’il n’a pas prononcé un mot pendant quatre ans. Un jour, à table, il a posé cette question devant ses parents, ce fut sa première parole : « Pourquoi je vois pas mes yeux ? » Sacrée question ! Les enfants sont d’abord des explorateurs qui vont questionner et subvertir les objets que les adultes ont depuis longtemps appris à voir sous l’angle de leur utilité, ou tout simplement, comme des « évidences ». Les enfants font pipi dans les pots de fleurs (DIDIER, 2011, p. 18-19).

 

Faire pipi dans les pots de fleurs… Les adultes devenu.e.s chercheur.e.s ne peuvent plus se le permettre, bien sûr, mais cette interrogation enfantine, « pourquoi je vois pas mes yeux ? », me semble constituer une parfaite description de la réflexivité, qui m’apparaît comme une capacité. Pour réfléchir, aux deux sens du terme, un simple miroir ne suffit pas, non plus qu’une narration ; il faut accomplir un véritable geste, celui d’intégrer son humanité au travail de sa pensée.

 

Références

ANSCOMBE G.E.M., 2008 [1958], « La philosophie morale moderne », Klesis – revue philosophique / actualité de la philosophie analytique 9, p. 9-31 (trad. par G. Ginvert et P. Ducray de « Modern Moral Philosophy », Philosophy 33, n° 124).


BOURDIEU P., Maître J., 1994, « Avant-propos dialogué » in L’autobiographie d’un paranoïaque, Jacques Maître, Paris, Economica, p. V-XXII.


BOURDIEU P., Wacquant L., 1992, Réponses. Pour une anthropologie réflexive, Paris, Éditions du Seuil.

BOURDIEU P., 2001, Science de la science et réflexivité, Paris, Raisons d’agir éditions.

BRETEGNIER A., 2009, « Sociolinguistique alter-réflexive : du rapport au terrain à la posture du chercheur », in D. de Robillard (coord.), « Réflexivité, herméneutique, vers un Paradigme de recherche ? » Cahiers de sociolinguistique n° 14, Presses universitaires de Rennes, p. 27-42.


DEVEREUX G., 1980 [1967], De l’angoisse à la méthode dans les sciences du comportement, Paris, Champs Essais.


DIDIER É., 2011, Moi, je laisse faire, je regarde les étincelles, Paris, Petite capitale.