Pour une science humaine du discours. Des affects et des vertus dans la science réflexive


resumo resumo

Marie Anne Paveau



 

Et enfin une troisième anecdote, qui, dans un « prestigieux séminaire parisien », oppose il y a quelques années « un jeune conférencier, venant de soutenir sa thèse de doctorat », à un auditeur, « individu au phénotype africain » (2009, p. 78). Le premier soutient que dans « la société d’Afrique de l’Ouest où il mène ses recherches, où il pratique une observation participante, les rites d’initiation liés aux classes d’âge sont inexistants » (2009 : 78 ; ital. de l’auteure). Le second explique qu’il est membre de cette société, que cette information est fausse puisqu’il a lui-même été initié. Contestation énervée du conférencier s’appuyant sur des travaux reconnus et extraordinaire réponse de l’auditeur : « si vous pensez que nous déballons, comme ça, toute notre vie et des choses qui doivent être cachées à tous les Blancs qui débarquent chez nous… » (2009, p. 79).

Je restitue assez longuement ces anecdotes car elle me semblent bien définir ce que n’est pas la réflexivité, dans sa version radicale : la non-réflexivité, et même, pourrait-on dire, l’anti-réflexivité. Négation de l’efficacité scientifique de la méthode et de la connaissance professionnelle (et non intime) du terrain dans le premier cas ; réduction subjectivisante des données et des informateurs dans le second cas : l’« appropriation » par les possessifs empêche de fait la prise en compte de leur altérité, leur contextualisation et surtout l’élaboration de cette sorte de lieu vide entre le.a chercheur.e et ses observables, qui est à mon sens le lieu de l’interrogation épistémique-éthique sur l’élaboration du discours scientifique ; et enfin, primauté de la légitimité institutionnelle des savoirs empiriques construits sur les données expérientielles des connaissances vécues.

 

Conclusion

Parmi les différentes conceptions d’une humanité de la recherche en sciences humaines, ma préférence va à la réflexivité éthique que propose l’épistémologie des vertus, articulée sur une conception du savoir comme enquête révisable et non comme corps de connaissances fixées. J’ai une tendresse persistante pour la réflexion de Pierre Bourdieu qui est largement exposée dans son dernier ouvrage, Science de la science et réflexivité (BOURDIEU, 2001). Mais je ne pense pas qu’il existe une conception « vraie » de la réflexivité, et surtout dominante, par rapport à laquelle les autres seraient inefficaces. En revanche, il me semble qu’il n’y a pas de réflexivité sans lieu, c’est-à-dire sans espace de jeu, à tous les sens du terme d’ailleurs, entre le.a chercheur.e et ses