Pour une science humaine du discours. Des affects et des vertus dans la science réflexive


resumo resumo

Marie Anne Paveau



analyses du discours sportif dans L’Équipe, un des quotidiens français à plus fort tirage, ne sont pas légion. Et je ne parle pas d’autres segments de presse importants qui sont des terrae incognitae pour les chercheurs : les magazines de chasse, de pêche, de moto, d’automobile ou de militaria, qui occupent une place conséquente dans les kiosques. Nous nous affrontons peu aux publications populaires, marginales ou transgressives. Je soulève régulièrement le problème en colloque ou en séminaire et l’on me regarde toujours comme si j’énonçais quelque chose de déplacé. Aux questions que je pose régulièrement à mes collègues, j’obtiens toujours la même réponse : « Mais nous prenons Le Monde ou L’Express parce que les énoncés y sont intéressants ; les publications de niveau moins élevé sont pauvres, et il n’y a rien à en dire ».

Intéressants, pauvres : de bien lourdes marques de subjectivité évaluative, dont il ne suffit pas, cependant, d’avoir conscience, ce qui ne serait qu’une première étape. La seconde, qui mènerait à l’exercice de la réflexivité, serait de réfléchir à ces évaluations, de les décrire et les expliquer, et de les intégrer à sa posture de recherche au lieu de les faire disparaître sous la méconnaissance de leur existence, au nom d’une objectivité impossible. Faire le pari d’une science située, intégrant les paramètres de l’humanité du.de la chercheur.e.

Dernier faux-semblant possible de la réflexivité : la narration des histoires subjectives. Dans le champ des sciences du langage, ce sont surtout les sociolinguistes qui se sont saisi.e.s de la question de la réflexivité dans la recherche. On trouvera par exemple dans le collectif Réflexivité, herméneutique. Vers un paradigme de recherche, dirigé par Didier de Robillard (Robillard (de) coord. 2009), un ensemble de travaux sur les postures réflexives des linguistes qui enquêtent sur le terrain. Il y est plusieurs fois question des « histoires subjectives » des chercheur.e.s, et il me semble qu’il se produit parfois un recouvrement de la notion de réflexivité par celle de subjectivité. L’histoire subjective, comme la conscience, me semble nécessaire mais non suffisante. Deux articles intéressants posent cette question et permettent de réfléchir à ce risque de confusion entre réflexivité et subjectivité.

Aude Brétégnier prend l’exemple du travail sur les langues à La Réunion, qui tourne autour de la question du créole. Dans un article intitulé « Sociolinguistique alter-réflexive : du rapport au terrain à la posture du chercheur », elle explique que l’entrée dans la réflexivité par son « histoire subjective » a été rendue nécessaire par son sentiment d’illégitimité par rapport à son terrain : « […] comment puis-je m’accorder une légitimité à étudier une situation qui m’est extérieure, à interpréter l’expression de