Pour une science humaine du discours. Des affects et des vertus dans la science réflexive


resumo resumo

Marie Anne Paveau



On trouve également l’appel à la conscience de soi et de ses pratiques de pensée et de recherche pour décrire la réflexivité. Cette « conscience » me semble une forme de degré zéro de la réflexivité. Elle est certes nécessaire, mais non suffisante. Les exemples abondent de conscience manquante dans les travaux de recherche et il est d’ailleurs toujours très facile de la pointer chez les autres en détectant leurs biais.

Je pense par exemple à une discussion un peu raide que j’ai eue avec l’auteur d’un article sur l’euphémisme, où des mots du lexique sexuel étaient, en toute bonne foi de la non-conscience, pourrait-on dire, bien peu scientifiquement chargés de marques dévalorisantes, dans une perspective moralisante[4]. Agacé devant mes remarques, l’auteur énonce la formule de dénégation par excellence : « je n’ai jamais dit cela ». Je lui envoie bien sûr les extraits concernés de son texte et il durcit sa défense, à mon grand étonnement. J’ai mis assez longtemps à comprendre que ce « je n’ai jamais dit cela », concernait non pas les mots écrits mais le sens produit, qu’il ne « voyait » pas. Il a finalement aperçu que l’ensemble du texte présentait, par son lexique, une vision particulièrement évaluative de la sexualité, dont il n’avait pas eu conscience.

Autre exemple, celui d’un colloque au cours duquel un collègue présentait une communication sur la publicité dans la presse féminine française. J’avais trouvé son corpus un peu sélectif, car il n’avait retenu que des magazines pour lectorat plutôt urbain et aisé (Elle, DS, Marie-Claire, Madame Figaro) et je considérais pour ma part qu’un corpus représentatif devait comprendre également des publications dites « populaires » comme Femme actuelle ou Prima. Je lui avais posé la question de son mode de sélection ; il avait répondu, un peu perplexe et sans bien comprendre l’objectif de ma question : « Eh bien j’ai pris les magazines que lit ma femme ». C’est un des défauts à mon sens de l’analyse du discours telle qu’elle est pratiquée en France (et je m’inclus d’ailleurs dans la critique) : nous travaillons sur les corpus de nos lectures et de notre culture, des corpus plutôt cultivés, voire élitistes, dans une non-conscience partagée ou un déni de leur statut socio-culturel. La majeure partie des travaux d’analyse du discours médiatique en France portent sur des quotidiens comme Le Monde, Libération et Le Figaro, ou des news magazines comme L’Express, Le Point ou Marianne : c’est-à-dire la presse dite « de qualité » ou « d’élite », selon les expressions consacrées. Les gratuits, distribués aux entrées des métros, de format plus court et de lecture plus rapide, sont régulièrement absents des recherches, et, autre exemple, les



[4] Je détaille ce point dans Langage et morale, chapitre 4 (Paveau 2013).