Pour une science humaine du discours. Des affects et des vertus dans la science réflexive


resumo resumo

Marie Anne Paveau



recherche et d’intervention tout entier. Vincent de Gaulejac est en effet l’un des rares chercheurs à avoir mobilisé la psychanalyse de manière importante dans le champ de la sociologie, fondant un courant d’analyse dynamique, la sociologie clinique[3]. Dans un article de synthèse intitulé « La sociologie clinique entre psychanalyse et socioanalyse » (Gaulejac (de) 2008), il précise ce que Pierre Bourdieu entend par inconscient, assez loin de la psychanalyse selon lui :

 

L'inconscient de Pierre Bourdieu ne renvoie pas à une théorie de l'appareil psychique. Par inconscient il convient d'entendre l'ensemble des structures cognitives, en particulier celles imputables au système scolaire. Il se réfère ici à une psychologie implicite de type cognitiviste, très éloignée de la psychanalyse. L'individu intériorise de façon mécanique des schèmes d'appréciation, de perception et de cognition, issus du milieu scolaire, familial et social dans lequel il baigne. Il s'agit là de structures sociales incorporées que l'individu considère comme innées alors qu'elles sont acquises. Cette méconnaissance de ce qui lui permet de penser, de parler et d'agir est la caractéristique majeure de l'inconscient selon Pierre Bourdieu (GAULEJAC 2008 : § 6).

 

C’est en effet la notion de méconnaissance qui est au centre de l’exploitation par Pierre Bourdieu de la psychanalyse, et il évite en cela un mésusage de la théorie de l’inconscient : le sociologue appuie ses analyses sur l’hypothèse d’un inconscient des sujets, qui fonde la méconnaissance, sans prétendre rendre compte des structures et contenus de cet inconscient.

Faire appel à la psychanalyse est donc bien risqué dans le champ des sciences humaines, parce qu’il s’agit d’un champ où les chercheur.e.s ne peuvent travailler que sur des données conscientes, qu’il s’agisse de leur conscience au monde ou de celle des sujets qu’ils observent. La place importante que la psychanalyse a eue dans la mise en place de l’analyse du discours française, en particulier dans l’élaboration des notions d’interdiscours, de préconstruit, ou d’oubli, ne me semble pas autoriser les chercheur.e.s à se faire les psychanalystes des locuteur.trice.s et des discours qu’illles étudient. Il me semble en effet de mauvaise méthode de faire intervenir l’insconscient individuel, fondamentalement insaisissable et parfaitement tacite hors de l’entretien analytique, ou le discours analytique, profondément situé dans l’espace de la séance, dans les pratiques de recherche, au risque d’une contradiction, voire d’une impossibilité dans les termes.

 



[3] La sociologique clinique articule sociologie et psychanalyse pour observer les parcours humains en explicitant l’action des déterminismes sociaux et psychiques. La prise en compte des histoires de vie permet de montrer comment les premiers attachements configurent les choix d’objets et dessinent des parcours de vie. Pour une synthèse voir Gaulejac (de) 1999 ou son site personnel: http://www.vincentdegaulejac.com/institut-international-de-sociologie-clinique-3/