Pour une science humaine du discours. Des affects et des vertus dans la science réflexive


resumo resumo

Marie Anne Paveau



maniement du lexique de la psychanalyse devrait se faire, dans la recherche, de manière explicitement analogique, ou métaphorique. C’est le cas des usages bien connus que Pierre Bourdieu en fait, comme le montre bien un échange avec Jacques Maître dans l’avant-propos de l’ouvrage L’autobiographie d’un paranoïaque (Bourdieu, Maître 1994). Pour Pierre Bourdieu, la psychanalyse intervient dans l’analyse sociologique pour expliquer comment la négociation des dispositions personnelles avec les institutions organise les trajectoires sociales. Dans un article sur ce dialogue entre le sociologue et le psychanalyste, qui constitue pour lui l’un des écrits majeurs bien que peu connu de Pierre Bourdieu, Pascal Fugier souligne que la mobilisation de la psychanalyse par le théoricien des champs répond à

 

la question de l’investissement dans les institutions : comment les dispositions (en tant que potentialités) se révèlent en relation avec certaines institutions ou mieux certains champs (en tant qu’espaces des possibles) ; comment les agents exploitent les institutions pour assouvir leurs pulsions […] et comment les institutions, inversement, mettent les pulsions des agents au service de leurs fins. […] le champ offre un espace de possibilités préconstituées ; il régule les dispositions, c’est-à-dire qu’il les contraint et les censure en même temps qu’il leur ouvre des voies (FUGIER 2007, en ligne).

 

Pour Pierre Bourdieu, l’utilisation de la psychanalyse reste donc modeste, et ne prétend pas exploiter de données issues de l’inconscient des sujets. Comme il le précise dans l’ouvrage corédigé avec Loïc Wacquant :

 

Les agents n’ont quelque chance de devenir des sujets que dans la mesure, et dans la mesure seulement, où ils maîtrisent consciemment la relation qu’ils entretiennent avec leurs dispositions, choisissant de les laisser agir ou au contraire de les inhiber, ou, mieux, de les soumettre […] Mais ce travail de gestion de ses propres dispositions n’est possible qu’au prix d’un travail constant et méthodique d’explicitation. Faute d’une analyse de ces déterminations subtiles qui opèrent au travers des dispositions, on se fait complice de l’action inconsciente des dispositions, qui est elle-même complice du déterminisme (BOURDIEU, WACQUANT, 1992, p. 73).

 

Sous cet angle, on peut parler d’une articulation des sciences humaines, ici la sociologie, avec la psychanalyse, au prix de ce qui apparaît comme un paradoxe : le sacrifice de l’inconscient individuel. Mais le paradoxe n’est qu’apparent, et on peut le voir comme le retravail d’un dispositif conceptuel destiné à passer d’une discipline à une autre en évitant une application simpliste. Ce type de retravail est effectué par un autre chercheur, de manière plus systématique puisqu’il donne naissance à un champ de