Pour une science humaine du discours. Des affects et des vertus dans la science réflexive


resumo resumo

Marie Anne Paveau



3. Les faux-semblants de la science réflexive

La notion de réflexivité est extrêmement plastique, définie différemment selon les disciplines et pratiquée diversement par les chercheurs. Chacun semble avoir sa vérité sur la notion, et les propositions et les critiques sont nombreuses ; mais peu se risquent à un travail de clarification et de description de la notion.

Pour esquisser le portrait de ce concept étendu, on peut commencer par en trier (au sens linguistique du terme, comme on utilise par exemple l’antonymie pour trier la polysémie) les acceptions et les pratiques, et mettre de côté celles qui ne produisent pas d’effet sur la recherche. Mon intérêt se porte surtout sur ce que fait la réflexivité, ce qui suppose qu’il s’agisse bien d’une pratique active, et modificatrice. Mais il existe des faux-semblants, c’est-à-dire des pratiques ou des dispositifs qui me semblent faussement, insuffisamment ou non réflexifs. Je pense à la psychanalyse, à la conscience de soi et au récit de vie.

La psychanalyse, depuis sa naissance, est prise sous les feux croisés de la valorisation et de la critique. Elle a toujours fait l’objet des attaques les plus vives et des faveurs les plus ferventes. Actuellement les oppositions se sont radicalisées en France (écrits de Michel Onfray ou débats violents autour de la question de l’autisme par exemple) et les rages « anti-psy » fleurissent un peu partout. Elle a cependant fourni un corpus conceptuel important depuis plus d’un siècle, et une série d’œuvres qui ont très largement irrigué les sciences humaines et sociales (Freud et Lacan bien sûr, mais aussi Anzieu, Bion, Green, Klein, Pontalis, Searles, Torok, Winnicott, pour n’en citer qu’une infime partie, et selon une sélection subjective…). Mais elle sert aussi d’argument dans des situations très diverses, y compris dans le champ de la réflexivité : on la trouve alléguée comme repoussoir chez les tenants de la science « objective » (« on va pas faire de la psychanalyse, hein ? ») ou comme appui chez ceux qui défendent une réflexivité en première personne (« faire son auto-analyse »). J’insiste sur ce point de la première personne : je parle ici de l’assimilation de la réflexivité ou de l’autoréflexivité à une psychanalyse personnelle et non de l’emprunt analogique aux concepts et au vocabulaire de la psychanalyse dans le cadre de l’analyse du collectif.

Le problème est que, dans les deux cas, il ne peut guère s’agir de psychanalyse, pour une raison assez simple qui tient à la notion d’inconscient et au dispositif analytique qui, à l’exception notable de l’auto-analyse de Freud, qui par définition ne pouvait avoir d’analyste, suppose qu’il y ait deux personnes, une parole et une écoute, dans le présent de l’interaction et de l’inconscient du sujet. Il me semble que le