Pour une science humaine du discours. Des affects et des vertus dans la science réflexive


resumo resumo

Marie Anne Paveau



Introduction

Au début d’un ouvrage devenu classique en psychologie et en épistémologie, consacré aux effets du travail de terrain chez les chercheur.e.s et intitulé De l’angoisse à la méthode dans les sciences du comportement, le psychanalyste Georges Devereux[1] résume la thèse du livre, qui sera aussi celle de cet article :

Une science du comportement authentique existera quand ceux qui la pratiquent se rendront compte qu’une science réaliste de l’humanité ne peut être créée que par les hommes qui sont le plus conscients de leur propre humanité, précisément lorsqu’ils la mettent le plus totalement à l’œuvre dans leur travail scientifique (DEVEREUX, 1980 [1967] p. 21).

Cette conception de la science n’est pas la mieux partagée dans nos univers de recherche : je n’ai jamais entendu aucun.e de mes collègues, et en particulier celleux auprès desquel.le.s je me suis formée, présenter l’humanité comme une qualité de la recherche.

Je propose de décrire dans cet article ce que serait cette science réaliste de l’humanité ou cette humanité des sciences humaines (et sociales), dans lesquelles figure bien évidemment l’analyse du discours. Pour cela, je ferai intervenir des notions encore peu mobilisées dans nos territoires scientifiques comme les affects, les vertus ou la réflexivité. C’est un texte qui s’appuie sans doute davantage sur le désir et l’utopie que sur des possibilités immédiates de réalisation. Mais le désir et l’utopie sont de puissants moteurs d’invention, dont la recherche a besoin pour se renouveler.

 

1. Une science réaliste de l’humanité

Pris.e.s dans une tradition scientifique objectivisante et dualiste (intellect vs affect, et par conséquent scientificité vs humanité ?), nous devons faire un (assez grand) pas de côté si nous voulons que la science soit, réellement et profondément, humaine. En tout cas j’ai choisi de le faire depuis assez longtemps, et donc d’encourir le plus sereinement possible les remarques du type : « mais c’est du journalisme ! » ou le « mais ce n’est pas de la linguistique… » de celleux qui ne savent définir le travail des autres qu’avec des comparants méprisants ou des adverbes de négation. Mes terrains de recherche m’amenant vers les corps-discours protestataires ou (ré)habilitants des



[1] Georges Devereux, anthropologue et psychanalyste, est considéré comme le fondateur de l’ethnopsychalyse, en particulier à partir d’un long terrain aux États-Unis, chez les indiens Mohave, mais surtout de sa rencontre avec Jimmy Picard, appartenant à la tribu des Pieds-noirs, dans une clinique du Kansas. De cette cure sortira en 1951 l’un de ses livres les plus célèbres, Psychothérapie d'un indien des plaines : réalités et rêves, précédant De l’angoisse à la méthode dans les sciences du comportement écrit en 1967.