Marcher, courir: gestes pour vivre, penser, écrire


resumo resumo

Mariagrazia Margarito



Pour son appropriation du paysage environnant le coureur a à son avantage, outre la possible osmose que nous avons citée, la perception du passage des saisons, et des éléments de la nature :

 

À chaque passage d’une nouvelle saison, la direction du vent se déplace, comme si quelqu’un actionnait un interrupteur. Et nous, les coureurs, nous pouvons déceler la moindre variation d’intensité de l’avancement d’une saison en éprouvant le vent sur notre peau, grâce à son parfum et à sa direction[32].

 

Les gestes pour avancer dans la marche et dans la course sollicitentcet en-dedans du corps qu’est la pensée : quelle grande littérature pourrions-nous énumérer, ouvrages qui ont été revus, réajustés, imaginés, voire créés pendant des promenades, alors que le corps était en marche et l’esprit souvent en ébullition : « Tandis que mes jambes se meuvent presque inconsciemment, je mets les mots en ordre dans ma tête. Je mesure le rythme de mes phrases, la manière dont elles sonnent[33]» !

 

Courir-écrire

Ce corps qui nous a tant occupée jusqu’ici, siège de notre vie, est aussi le lieu où s’inscrivent par le discours la marche et la course. Le réel de ce discours utilise des données communes à la marche, à la course et à l’écriture. Physiquement la main n’est pas le seul outil pour écrire, et le pied n’est pas son antagoniste pour cette activité : Nietzsche s’est clairement exprimé sur ce point : « On n’écrit pas qu’avec sa main. On n’écrit bien qu’ "avec ses pieds[34]".

La temporalité, notion chère aux linguistes, peut être visualisée comme cette longue ligne d’une discursivité occupant toute notre vie, et celle du pas après pas (petite foulée, grande foulée).

La course comme la vie, l’écriture comme la course, dans la vie, et de là la gestuelle de la course qui alimente les gestes de l’écriture. Des preuves philosophiques d’existence : je cours, donc je suis, j’écris, donc je suis :

 

Se consumer au mieux à l’intérieur de ses limites individuelles, voilà le principe fondamental de la course, et c’est aussi une métaphore de l’écriture. Je crois que beaucoup de coureurs seraient d’accord avec cette définition[35].

 

 



[32] Ibid., pp. 93-94.

[33] Ibid., p. 104.

[34] Cité par F. Gros, cit., p. 34.

[35] H. Murakami, cit., p. 86.