Marcher, courir: gestes pour vivre, penser, écrire


resumo resumo

Mariagrazia Margarito



Mais encore, paysage et corps comme caisses de résonance l’un pour l’autre : « marcher, cela fait imprégnation […] Le corps devient pétri de la terre qu’il foule. Et progressivement, ainsi, il n’est plus dans le paysage : il est le paysage »[26].

Le paysage – dont la perception marque la priorité donnée à la vue – stimule la dialogie. Marcher favorise une immersion dans des univers de signes (« Cette marche […] multiplie les coïncidences. Prolifération des signes : c’est bien ça[27] ») et ces multiples sémiologies conduisent à la réflexion. Vivre, marcher, penser. Un anthropologue souligne ce réseau foisonnant et le relie aux affects :

 

La relation au paysage est toujours une affectivité à l’œuvre, une géographie mentale avant d’être physique. Chaque espace est en puissance de révélations multiples, c’est pourquoi aucune exploration n’épuise jamais un paysage ou une ville[28]

 

La représentation sociale - notion des plus fécondes dans les sciences sociales[29] – de la rencontre du coureur, du marcheur avec le paysage souligne plutôt la solitude, la fatigue dues à la séquence de ces gestes pour un mouvement continuellement répété, mais nos textes insistent sur le dialogisme :

 

on n’est pas seul enfin parce que, dès qu’on marche, on est aussitôt deux. Surtout après avoir marché longtemps. Je veux dire qu’il y a toujours, même seul, ce dialogue entre le corps et l’âme […] Dès que je marche, aussitôt je suis deux. Mon corps et moi : un couple, une rengaine[30] .

 

Très ponctuel, Haruki Murakami relate son dialogue avec ses muscles, ses jambes, ses genoux, et là, le corps est bien dit :

 

Parfois, lorsque mes jambes sont trop dures, je dois les soulever avec le poing pour les soulager. (Oui, ça fait mal.) Mes muscles peuvent se montrer aussi entêtés – ou plus – que moi. Ils ont de la mémoire, ils supportent. Jusqu’à un certain point, ils progressent. Mais ils ne transigent pas […]

Les genoux sont parfois obligés de se plaindre : « Magnifique, cette course, et magnifique, ce souffle, mais si on pensait un peu à nous, hein ? Si nous tombons en panne, qui va nous remplacer ? » [31].

 

 



[26] F. Gros, cit., pp. 118-119.

[27] Ibid., pp. 206-207.

[28] D. Le Breton, Chemins de traverse : éloge de la marche, J.-M. Furt, F. Michel (dir.), L’identité au cœur du voyage, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 211.

[29] Il s’agit de ces formes de connaissance et de “pratiques” sociales pourvues d’ “efficacité sociale” en tant qu’agissements sur le monde ( cf. D. Jodelet [éd.] Les représentations sociales, Paris, PUF, 1989, p. 45). La nature discursive des représentations sociales a été reprise et approfondie par B. Py, Pour une approche linguistique des représentations sociales, “Langages”, 2004, n. 154, pp. 1-19.

[30] Ibid., pp. 82-83.

[31] H. Murakami, cit., p. 89 et p. 131.