Marcher, courir: gestes pour vivre, penser, écrire


resumo resumo

Mariagrazia Margarito



Écrire devrait être ceci : un témoignage d’une expérience muette, vivante […] Le livre comme témoin. Mais je dirais « témoin » au sens que prend ce mot dans une course de relais : on passe le « témoin » à un autre, et il se met à courir. Le livre ainsi, né de l’expérience, renvoie à l’expérience[6].

 

Cependant, courir et écrire à la fois semblerait mobiliser une dimension d’auto-discipline différente. Il ne s’agit pas de vitesse, mais de posture, de techniques :

 

En ce qui me concerne, la plupart des techniques dont je me sers comme romancier proviennent de ce que j’ai appris en courant chaque matin. Tout naturellement, il s’agit de choses pratiques, physiques […] Je suis sûr que lorsque je suis devenu romancier, si je n’avais pas décidé de courir de longues distances, les livres que j’ai écrits auraient été extrêmement différents[7].

 

Un corps pour les gestes

Le pas, la foulée, maîtres gestes du corps debout avant même que du corps en mouvement font l’objet d’une symbolique imposante, souvent stéréotypée désormais. Cette symbolique patente dans les textes où la marche et la course sont présentes s’actualise par l’interdiscours, notion que nous reprenons de l’analyse du discours et que nous définirons brièvement en utilisant une citation d’Alice Krieg-Planque :

 

La notion d’interdiscours […] peut être définie comme l’ensemble des discours (relevant de discours antérieurs du même genre, de discours contemporains d’autres genres, etc.) avec lesquelles un discours déterminé est en relation implicite ou explicite[8].

 

Les anthropologues, entre autres, nous le rappellent[9] : à partir de l’homme debout privilégié par Giacometti dans ses sculptures filiformes, jusqu’à l’homme debout parce que révolté – souvent le poing levé -, sans oublier la marche effet de la bipédie comme premier marquage de la civilisation. Les axiologies positives, et négatives, sont légion pour les pas qui avancent dans l’isolement et dans la foule : la grande solitude dans le désespoir d’une course pour la vie, la course comme instinct primordial,  la fuite, la réappropriation de la liberté, les déplacements nomades, les migrations, les manifestations de contestation, de participation (Gandhi, Luther King), de deuil…  mais aussi les marches militaires, les exodes, la fuite collective à cause des guerres, des génocides.

Reste encore le grand geste utopique : la marche, la course comme souffle vital.

 



[6] F. Gros, cit., pp. 132-133.

[7] H. Murakami, cit., p. 85.

[8] A. Krieg-Planque, Analyser les discours institutionnels, Paris, Armand Colin, 2012, p. 189.

[9] F. Michel, cit.