Marcher, courir: gestes pour vivre, penser, écrire


resumo resumo

Mariagrazia Margarito



  • Jean Echenoz, Courir, Paris, Éditions de Minuit, 2008
  • Frédéric Gros, Marcher une philosophie, Paris, Carnets Nord, 2009
  • "Joggeur", 2013, n. 4
  • "Jogging", 2011, n. 321
  • Franck Michel, De la randonnée à la révolution,  "Le Monde diplomatique", août 2004
  • Haruki Murakami, Autoportrait de l’auteur en coureur de fond, Paris, Belfond, 2009
  • Jean-Christophe Rufin, Immortelle randonnée. Compostelle malgré moi, Chamonix, Éditions Guérin, 2013
  • "Running Attitude", 2013, n. 132.

 

Rassembler un corpus n’est jamais une opération innocente : les hypothèses, les attentes de départ dans une recherche infirment déjà l’assemblage du corpus, ce dispositif d’observation[1] qui n’est presque jamais une masse amorphe de données, mais un ensemble vibrant par le regard que le chercheur portera sur lui.

 

Plages d’observation

Nous posons ici comme plages d’observation les réalités discursives grâce auxquelles s’actualisent les observables qui sont le focus de notre analyse :

- le corps (qui nous permet les gestes, et siège, s’il en est, des émotions),

- le paysage – au sens le plus vague et le plus flottant du terme, où s’inscrit l’être humain qui marche et qui court, paysage que nous assimilons, pour faire bref,  à tout ce qui est « en dehors » du corps de l’individu qui se meut-,

- la marche, la course, comparées ou portant à l’écriture.

Dans ce numéro de "Paideutika "consacré au geste nous anticipons que l’activité gestuelle (focus sur le corps) nous montrera une dérive connue en littérature, mais peu fréquente dans les discours mondains, à savoir le geste de la marche, de la course comme gestes de l’écriture, au-delà même de métaphorisations prévisibles[2].

Être à la fois marcheur, voire grand marcheur, et écrivain est aisément perçu comme l’aboutissement d’un trajet : le geste stimule la pensée, laquelle alimente l’écriture, comme nous le rappelle la célèbre citation d’après Rousseau : « Jamais je n’ai tant pensé, tant existé, tant vécu, tant été moi, si j’ose ainsi dire, que dans les voyages que j’ai faits seul et à pied » (Confessions, livre IV). Notation qui traverse les siècles et que nous retrouvons sans peine dans des textes contemporains

 

Le pas, c’est bien connu, agit sur la pensée comme un vilebrequin : il l’ébranle, la met en route, reçoit en retour son énergie. On avance à l’allure de ses songes, et quand ils sont lancés à plein régime, on court presque […] Le marcheur, au bout de quelques heures, prend conscience d’une autre présence : celle de son cœur[3].

 

Ou encore, si marcher peut être une philosophie[4], marché, courir peuvent être

une écriture aussi :

 



[2] F. Mazière, L’analyse du discours, Paris, PUF, 2005, p. 11.

[3] Des métaphores écriture – course sont effectivement courantes : écriture comme une course contre le temps, une course pour vivre, une course ou une fuite vers la mort. Assurément moins habituelle est l’inversion des deux pôles de la métaphore : course – écriture.

[4] J.-Ch. Rufin, cit., p. 134.

[5] Cf. le titre de l’ouvrage de F. Gros, Marcher une philosophie, cit.